Libération - le samedi 22 et dimanche 23 mai 1999

400 paysans indiens
en campagne anti-OGM

Ils vont dénoncer la filière transgénique á travers l'Europe.

Par CATHERINE COROLLER

«Le génie génétique et les brevets sur le vivant représentent une des menaces les plus graves pour l'humanité.»
Le manifeste des agriculteurs

Les multinationales des biotechnologies perdent de leur arrogance. Car la fronde anti-OGM (organismes génétiquement modifiés) se coordonne, s'internationalise et se politise. Le 12 mai, une délégation brésilienne emmenée par José Hermero Hoffmann, secrétaire d'Etat á l'Agriculture de l'Etat du Rio Grande do Sul, est venue discuter de la mise en place d'une filière non-OGM avec des représentants français d'agriculteurs et de consommateurs. Cet Etat, l'un des plus riches du pays, refuse toute culture de plantes transgéniques. Par ailleurs, á partir de samedi et jusqu'au 22 juin, une caravane de 400 agriculteurs des dix Etats du sud de l'Inde parcourra «l'Europe des places financières, des centres de décisions politico-économiques, des arsenaux militaires et des pôles de biotechnologies». «Nous voici prisonniers du "meilleur des mondes", un monde où les transnationales obtiennent des droits de propriété sur tout ce qui peut produire un profit: micro-organismes, plantes, animaux et composantes du génome humain, expliquent les animateurs de la caravane dans leur manifeste. Le génie génétique et les brevets sur le vivant représentent une des menaces les plus graves auxquelles l'humanité ait jamais été confrontée, car ils donnent á l'industrie biotechnologique un contrôle sans précédent sur nos vies.»

Semences stériles. Illustration de cette omnipotence, l'affaire du Round Up Ready Canola, fabriqué par le géant américain Monsanto. Pour pouvoir utiliser cette variété de colza génétiquement modifié, les paysans doivent signer un contrat par lequel ils s'engagent á ne pas replanter les semences. Des agriculteurs canadiens et américains, ayant mis de côté des graines de leur récolte, se retrouvent aujourd'hui devant les tribunaux. Outre-Atlantique, l'affaire a fait la une des médias pendant des mois. Et, en France, elle a scandalisé, y compris des syndicats plutôt libéraux comme la FNSEA. Tous les professionnels savent en effet que le Round Up Ready Canola n'est qu'une étape sur la voie de l'assujettissement des paysans á ces multinationales. Avec le procédé de stérilisation des semences, baptisé «Terminator» par ses détracteurs, Monsanto n'aura plus besoin de contrat. Les graines ne germant plus, le paysan devra racheter chaque année de nouvelles semences. Devant la levée de boucliers que suscite le spectre du «Terminator», Monsanto a publié en avril un communiqué dans lequel il souligne que cette technologie ne sera pas commercialisée «avant au moins cinq ans» et appelle á un «débat public qui permette de poser toutes les questions et les enjeux relatifs á l'impact de ces technologies sur les pratiques agricoles á travers le monde».

Dans le même temps, l'argumentaire des anti-OGM est en train de changer. Eux qui mettaient surtout en avant, auprès du grand public, les dangers des plantes transgéniques pour la santé et l'environnement se placent aujourd'hui sur le terrain politique et éthique. «Si on aborde la question uniquement sous l'angle de la santé et de l'environnement, on risque d'être piégé comme pour la viande aux hormones, explique Marie-Hélène Aubert, députée Verts d'Eure-et-Loir, qui accueillera la «caravane des 400» le 28 mai á l'Assemblée nationale. Le conflit sera alors porté devant l'OMC (Organisation mondiale du commerce, ndlr), et, comme c'est á celui qui est lésé de faire la preuve du danger qu'il dénonce, on devra démontrer que les OGM sont dangereux». Or, comme pour les hormones, la preuve est quasi impossible á apporter pour l'instant. Avec une argumentation plus citoyenne, les opposants espèrent mobiliser la frange de l'opinion réfractaire á la libéralisation des marchés.

Abandon. Les fabricants de semences transgéniques sont de moins en moins soutenus; après la grande distribution, les industriels de l'agroalimentaire les lâchent. Après Nestlé et Unilever, Danone a annoncé hier sa décision de «s'abstenir d'utiliser des produits transgéniques en Europe». En toute logique, on aurait pu s'attendre á une vigoureuse contre-attaque des multinationales. Mais rien ne vient. Tentant de prendre la «caravane des 400» de vitesse, Europabio, structure de lobbying qui regroupe les fabricants européens de biotechnologies, a financé la venue en Europe, mercredi et jeudi, d'une petite délégation de dix Indiens: scientifiques, universitaires, parlementaires et agriculteurs. Ces visiteurs ont rencontré des députés, des syndicalistes agricoles, des journalistes... Et ont répandu un message sensiblement différent de celui de leurs compatriotes á venir. Pour sortir l'Inde du sous- développement, ils ne voient qu'une solution: la libéralisation des échanges mondiaux et la liberté de pouvoir utiliser des semences transgéniques.